9 mars 2009

Ludovic le cochon, Épisode 1


Ses deux énormes crocs ornant sa mâchoire inférieure fourrageaient farouchement le sol humide, comme il est bon de fouiller la terre après la pluie et sentir la fraîcheur envahir notre gros museau d’cochon. Comme il est bon d’être cochon! On peut s’adonner à la cochonnerie sans remord ni remarque de ses comparses cochonnets! Oh oui, ces moments rares et précieux où on peut voir la vapeur s’élever de la terre détrempée chauffée au soleil. Ahhh cette senteur de terre noire! Si le passé à une odeur, c’est celle-ci, une odeur de réconfort qui nous dit «nous étions là avant vous». Labourer la terre chaude avec sa gueule a quelque chose de transcendant, un sentiment qui vous pogne par les tripes et vous les remontent jusqu’au fond de la gorge, vous savez cette petite boule d’émotion qui veut vous faire exploser le gorgoton? Ludovic la sent bien cette petite boule et il fourrage le sol avec force et bonheur de sa gueule et de ses sabots, quand quelque chose vint frapper sa conscience, une chose bien simple, mais oh combien de fois oubliées. Trop souvent oubliée… La terre porte la marque du passé et souhaite toujours la bienvenue au changement.

En extirpant ainsi du sol les racines de nombreuses plantes présentent autour de lui, Ludovic s’imagine ces racines se transformant sous ces yeux en un réseau ou une toile de pensées, la toile de ses comparses cochonnets, ces pensées enfouies au plus profond d’une conscience commune. Ces pensées sont porteuses de leur histoire, elles s’enracinent bien profondément en eux, à partir de leurs entrailles jusque dans chacune des synapses de leurs cervelets. Elles sont la source nourricière de leur identité, elles permettent de répondre à des questions cruciales pour un être doté d’intelligence et conscient du passage du temps : «Qui suis-je?», « D’où vins-je?» et surtout, « Où vais-je? ». Ludovic voit maintenant ces racines qui prennent source dans son être et sont reliées à chacun des cochons l’entourant, certain d’entre eux ont des racines moins fortes, moins grosses, moins développées, d’autres possèdent un réseau de racine encore plus développé que le sien, mais chaque cochon détient ce potentiel, les racines ayant seulement besoin d’un peu d’eau fraîche.

Un souvenir bien précis vient alors en tête de notre cochonnet, les histoires que lui racontait son grand-père, des histoires sur ses ancêtres. Il voit maintenant l’image de son grand-père au physique tout rabougri, une coulisse de morve pendait souvent de son groin, son visage couvert de rides qui rappel l’image d’une prune pourrit dont la peau jadis rougeâtre et lisse s’est maintenant transformée en marron, une prune bien molasse et ratatinée. Son grand-père possède toute foi une lueur au fond des yeux, bien sombre et difficile à discerner dans ses yeux bruns foncés, mais elle est tout de même là, la lueur bien discrète de la sagesse, l’ont pouvait la voir seulement en regardant bien profondément dans ces yeux imposants. Bien des cochons baissaient la tête devant son grand-père et petit cochon sait bien pourquoi, la sagesse a quelque chose d’imposant. Notre petit cochon aime bien les histoires que lui racontait son grand-père, parfois des exploits ou des défaites de ses ancêtres, d’autres fois, des mythes et légendes transmises de génération en génération. Chacune de ces histoires sont porteuses d’une leçon à retenir et d’enseignements qui lui permet de savoir pourquoi les choses autour de lui sont ainsi faites et se que chaque cochonnet a en commun avec lui, une mémoire commune et rassembleuse qui permet de se dire : « Voilà ce que tous ensemble nous avons vécu. » Ce sentiment est enfoui au plus profond de nos entrailles et allez jouer dedans peut parfois s’avérer être au départ douloureux, mais devient à la longue un baume apaisant issu de notre compréhension de notre identité. On peut aussi choisir de se couper ses propres entrailles pour en extirper les racines et les jetés au feu, mais l’exercice devient très vite aliénant. Ludovic l’observe trop souvent chez certain de ses comparses cochonnets qui affichent ouvertement leur ignorance face à l’histoire et qui en ont cures. Il en fait peu de cas, Ludovic n’aime pas perdre son temps avec des cochonnets non désireux d’apprendre, par contre, à l’image de son grand-père, il adore répandre ses connaissances.

Notre cochon continue donc de fourrager le sol tout en étant perdu dans ses pensées, quand son museau heurte tout à coup violemment une pierre qui sort à peine du sol, cachée par les amoncellements de terre noire qu’avait causés sa grande voracité. Ludovic est un cochon solide sur ses quatre pattes et, bien qu’il soit très chancelant, il réussit tant bien que mal à ne pas perdre l’équilibre, il peut par contre sentir son museau s’engourdir à mesure qu’il prend des inspirations, se qui provoque, bien malgré lui, de gros écoulements de larmes le long de son visage. Son orgueil venait d’en prendre un coup et il se doit par conséquent de faire payer son injure à cette maudite pierre! Il entreprend donc de creuser autour de la pierre à l’aide de ses petites pattes. De bon cœur et férocement, il laboure frénétiquement le sol de ses deux pattes avant et la terre vole littéralement en prenant le passage entre ses deux petites pattes arrière. Son projet est de déterrer cette sale pierre, de la faire rouler jusqu’à la falaise et, vous l’aurez deviné, de l’envoyer débouler tout en bas afin de la voir s’éclater en morceaux sur le gravier. Le creusage va bon train, mais Ludovic se rend bien vite compte que la pierre est beaucoup plus grosse qu’il n’en parait. Le bout de pierre qui dépassait du sol n’était que la pointe de l’iceberg, mais il continue tout de même ses travaux d’excavations, après tout il possède les atours d’une tête de cochon et il a la certitude que voir cette roche s’éclater au bas de cette falaise serait une belle récompense pour ses efforts. Ce n’est qu’à bout de force, après avoir creusé pendant se qui lui semble être une éternité, que cochonnet est forcé de renoncer! Les muscles en feu, les pattes de devant écorchées, il s’avoue vaincu! La pierre avait eu le dessus sur sa ténacité et il pensa au fond de lui-même : « Peut-être que certaines choses refusent tout simplement de changer… »

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