22 avr. 2009

L'Hiver De Force (2)

C'est notre dernière nuit ici : last time. On emportera rien. Le chat, si Nicole y tient à tout prix, mais moi ça ne me fait rien. Maintenant que notre coquille est détruite, qu'on est à un pas d'être partis des lieux et des objets où les jeux de l'habitude avaient tissé des toiles où faire courir des idées et des sentiments, maintenant qu'il ne reste plus rien de ça, on peut le dire sans se tromper : il n'y avait rien, IL N'Y A RIEN tout court. En vidant l'appartement, on s'est vidés. Et là on voit, on sait, avec force, comme tout nus dans la neige, que ce qu'on est vraiment c'est un vide (un vrai vide, un qui aspire, un vacuum), que ce vide garde tout le temps sa force de vide, sa faim douloureuse, que ça dévore tout à mesure, nous avec, que pour qu'il marche bien (et qu'on marche bien nous aussi) il ne faut pas qu'il soit obstrué... comme quand tu essaies de te cramponner à l'ouverture pour te garder (ta vertu, ta jeunesse, ton idéal, ta réputation, ta personnalité). On a trouvé qu'on est un vide qui se refait, que c'est ça notre sens, et on est contents.

Ce dernier paragraphe est très pédant et, qui pis est, n'a rien à voir ou presque avec ce qui a vraiment eu lieu. On était en train de déchirer nos fascicules d'Alpha, si tendrement acquis, lus, conservés, reliés. Nicole était au bord des larmes :
- La, ça y est, il nous reste plus rien...
J'ai répondu, à tout hasard, pour la rassurer :
- Voyons voyons, il nous reste... ce qu'on va faire.
- Qu'est-ce qui va rester après ce qu'on va faire... ?
- Si on le jette encore, si on s'accroche pas, si on s'en souvient même plus, il va encore rester rien. C'est-à-dire qu'il va rester encore toute la place, c'est-à-dire notre pleine liberté...

Extrait de : L'hiver De Force De Réjean Ducharme, pp. 176-177



Dans ce 2e extrait de L'Hiver de Force André et Nicole vident leur appartement, car ils n'ont plus d'argent pour payer le propriétaire. C'est en fait plus que leur appartement qu'ils vident, dans ce court moment de lucidité André prend conscience de l'insignifiance de son existence, insignifiant parce qu'il est vide. Il est plus que vide, il EST le vide et il EST l'insignifiance. Certains d'entre vous me répondront que la vie de chacun de nous est insignifiante et vous avez probablement raison, c'est une belle manière de mettre tout le monde au même niveau, tous égaux et unis dans la médiocrité. La croyance de croire en rien (belle contradiction), ou de croire que rien n'a de signification semble avoir la fâcheuse conséquence de transformer une personne en véritable loque humaine, allez donc savoir pourquoi! C'est une vie bien morne qu'une vie pleine de vide.

La réflexion d'André me fait beaucoup penser au nihilisme, ou à une démarche nihiliste. Le nihilisme selon Nietzsche, c'est-à-dire avoir le courage de détruire ce que l'on croit être vrai et indéniable, la destruction des idées dans lesquelles nous sommes confortables afin de pouvoir se questionner et se remettre en question. La vie, les choses et même les personnes qui nous entourent possèdent seulement la signification qu'on leur donne, André est dans cette étape où il remet les compteurs à zéro, il reste seulement à savoir si les compteurs resteront à zéro, donc s'il continuera à vivre sa vie dans le vide. Le vide a quelque chose de réconfortant, il nous permet d'être détaché de tout, y compris de notre propre vie, rien ne nous touche, rien ne peut avoir une emprise sur sois, mis à part cette obsession du RIEN ou, si vous préférez, du VIDE.

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